Les émetteurs fluorescents sont d’un très grand intérêt pour les applications biomédicales. Convenablement fonctionnalisés, ils peuvent servir à détecter des biomolécules ou permettent de les marquer afin de suivre
in vivo leur évolution dans des milieux biologiques complexes (cellules, organismes). Parmi la grande variété de sondes luminescentes, les quantum dots (QD, boîtes quantiques semi-conductrices) présentent l’avantage d’être stables et bien plus résistants à l’excitation optique (ou laser) que les fluorophores organiques. Ils sont de plus capables, en fonction de leur taille, d'émettre dans toutes les longueurs d’onde du spectre visible et de l’infrarouge, ce qui représente un atout pour l’imagerie multicolore et de longue durée. Les émissions dans le proche infrarouge sont particulièrement intéressantes car l’absorption et la diffusion de lumière par l’environnement biologique y sont fortement réduits. Ces QD sont-ils pour autant biocompatibles ?
Les QD usuels émettant dans le proche infrarouge présentent une (cyto-)toxicité causée par la présence de métaux comme le cadmium ou le plomb. C'est pourquoi des efforts sont actuellement consacrés au développement de QD biocompatibles, sans métaux lourds toxiques. Parmi ces QD plus respectueux de l'environnement, ceux à base d'argent et d’indium, AgInS
2, sont particulièrement prometteurs de par leur rendement quantique de photoluminescence (
PLQY) élevé ; des PLQY allant jusqu’à 66 % ont été rapportés dans la littérature. Pour les rendre compatibles avec les applications biomédicales, il est nécessaire de procéder à une modification chimique supplémentaire de la surface de ces QD, tout en essayant de limiter la diminution du rendement quantique de photoluminescence liée à cette modification.
L'expertise complémentaire de 3 équipes de notre institut (
voir encadré) a permis de développer une nouvelle méthode de synthèse de QD AgInS
2 avec une coquille de ZnS fonctionnalisée par des monobrins d’ADN (
Figure), tout en préservant leur forte luminescence (PLQY final de 42 % avec une émission dans l'infrarouge à 650-750 nm). La synthèse colloïdale a lieu en milieu aqueux permettant ainsi d’obtenir directement des QD hydrosolubles. Les monobrins d’ADN ont été incorporés lors de la croissance de la coquille de ZnS autour du QD AgInS
2, formant ainsi des complexes QD-ADN. Le succès de la conjugaison chimique des brins d’ADN a été attesté par plusieurs techniques (spectroscopie UV-visible, électrophorèse sur gel, diffusion dynamique de la lumière , potentiel de surface). L'imagerie par résonance plasmonique de surface (SPRi) de plots d'ADN déposés sur un film d'or (
Figure) a permis de montrer que les QD-ADN sont exclusivement immobilisés sur les plots fonctionnalisés avec les monobrins qui leur sont complémentaires, par hybridation sélective de l'ADN (
Figure). Ceci démontre le succès et la stabilité du couplage QD-ADN ainsi que la préservation de l'activité biologique de l'ADN ancré.
La non-toxicité, la stabilité à long terme et la biocompatibilité de ces QD-ADN ouvrent d'importantes perspectives. Outre les applications de sondes fluorescentes pour l'imagerie des cellules vivantes ou comme éléments de base de nanocapteurs, on peut aussi envisager de les coupler à d'autres blocs fonctionnels dans lesquels l'ADN intervient dans l'assemblage : nanosondes FRET mettant en jeu le transfert d'énergie entre molécules fluorescentes ou nano-antennes plasmoniques pour la bio-imagerie et la biodétection.
Quantum dot AgInS
2/ZnS fonctionnalisés par de l’ADN.
Les QD constitués d’un cœur AgInS
2 (PLQY = 36 %) et d’une coquille de ZnS (PLQY = 55 %) sont fonctionnalisés avec des molécule d’ADN simple brin (PLQY final de 42 %). La reconnaissance de la fixation d’un QD fonctionnalisé sur un brin d’ADN complémentaire est réalisée par SPRi. Les QD-ADN sont exclusivement immobilisés sur les plots fonctionnalisés avec les monobrins qui leur sont complémentaires et où ils sont alors liés par hybridation sélective de l’ADN (où ils sont alors liés par hybridation sélective de l’ADN) donnant un signal de réflectivité intense.
AgInS2 : sulfure d'argent et d'indium, composé ternaire I-III-VI de type de chalcopyrite.
PLQY : PhotoLuminescence Quantum Yield est le rapport du nombre de photons émis sur le nombre de photons absorbés.
Ce résultat marquant a été obtenu dans le cadre du projet HybriDimer financé par DRF-Impulsion (2018-2020), qui a permis de recruter Annette Delices en post-doctorat. Le projet vise à concevoir, réaliser et caractériser des nano-architectures mixtes composées d’un nanocristal semiconducteur (Quantum Dot ou QD) relié à un nano-bâtonnet d’or (GNR, Gold NanoRod) par des brins d’ADN. Cette structure hybride permet de contrôler les propriétés d’émission de lumière du QD (diamètre d’environ 5 nm) par couplage plasmonique, en réglant la longueur des brins d’ADN.
Ce projet réunit un large consortium pluridisciplinaire au sein de notre institut : des spécialistes de physique de la matière condensée et nanostructures pour les simulations électromagnétiques et l’optique (équipe NPSC du laboratoire Pheliqs de notre institut), de synthèse colloïdale des QD (équipe STEP de notre laboratoire), de chimie de surface pour la fonctionnalisation régio-sélective des GNR (équipe CREAB de notre laboratoire), de biochimie pour la synthèse et la purification d’ADN (CREAB), de nano-caractérisation de structures biologiques et bio-hybrides (IBS et laboratoire MEM).
Le projet se poursuit avec la thèse de Nicolas Daveau (2020-2023) financée conjointement par les labex ARCANE et LANEF.